Directive « retour » : les idées conservatrices triomphent en Europe.
Grâce la procédure de co-décision, le Parlement s’est prononcé aujourd’hui sur la directive « retour » en adoptant le texte
à 369 voix pour, 197 contre et 106 abstentions. Le Parlement européen
avait pourtant là une occasion unique de rejeter un directive préparée
par les Etats membres qui instaurait certes le cadre d’une politique
européenne d’immigration mais une politique préoccupante pour certains, liberticide pour d’autres, équilibrée et nécessaire pour ses défenseurs…
«
Article premier
Objet
La présente directive fixe les normes et procédures communes à
appliquer dans les États membres au retour des ressortissants de pays
tiers en séjour irrégulier, conformément aux droits fondamentaux en
tant que principes généraux du droit communautaire, ainsi qu’au droit
international, notamment les obligations en matière de protection des
réfugiés et de droits de l'homme.
»
Une politique commune d’immigration était devenue un impératif qui
s’imposait. Le débat autour de la question était notamment revenu sur
le devant de la scène après la victoire de Silvio Berlusconi en Italie,
flanqué sur sa droite d’une Ligue du Nord renforcée par son excellent
résultat aux élections législatives anticipées des 13 et 14 avril
derniers. Ce dernier, en effet, sous les pressions répétées de la
Ligue, avait souhaité porter au plan européen la question de
l’immigration, laissant sous-entendre qu’il laisserait sinon son
gouvernement agir nationalement. A suivi ensuite le pacte pour l’immigration proposé par Brice Hortefeux,
visiblement dans la même veine que les requêtes de la Ligue du Nord.
Placées devant le fait accompli, les institutions européennes n’avaient
finalement pas d’autre choix que de proposer au plus vite une directive
cadre sur l’immigration afin d’éviter que les Etats membres fassent
chacun de leur côté leur propre politique d’immigration, ce qui aurait
alors pu mettre en danger l’équilibre européen.
La directive « retour », donc, grâce à la procédure de codécision, a
été soumise au Parlement européen qui l’a adoptée. Deux grands
arguments ont été évoqués pour défendre le texte de la directive :
- cette directive est un compromis équilibré et nécessaire ;
- cette directive fixe le cadre d’une politique européenne
d’immigration, c’est un pas indispensable vers plus d’Europe, donc peu
importe le contenu du texte, c’est mieux que rien.
Cependant, ces deux arguments ne permettent en rien de justifier un tel
texte. Cette directive n’est pas un compromis équilibré et nécessaire.
Au contraire, c’est un pur produit des idées conservatrices véhiculées
par les partis de droite membres du PPE et par des partis populistes et
xénophobes comme le Front national, en France, la Ligue du Nord, en
Italie ou l’ancienne liste Pimp Fortuyn, aux Pays-Bas. De trop nombreux
éléments, qui n’ont pu être amendés par le PSE notamment, sont présents
dans ce texte.
Ce texte a pour vocation première de lutter contre l’immigration
clandestine. Bien évidemment, dans la plus pure logique conservatrice,
ce texte propose l’exact inverse d’une véritable politique
d’immigration. C’est l’expulsion en effet, via des centres de
rétention, qui est le coeur de cette directive. Or les expulsions ne
limitent en rien la venue des migrants qui, s’ils sont déterminés à
quitter leur pays – pour des raisons sûrement compréhensibles –,
reviendront en Europe quoi qu’il en soit. Et même, au contraire, une
telle politique encourage plutôt la clandestinité puisque d’une part,
les Etats membres, au lieu de régulariser, ne feront que pourchasser
les immigrés illégaux et, d’autre part, cette réaction défensive va
être perçue par les migrants comme une invitation à venir en Europe. En
effet, puisque celle-ci fait tout pour protéger son territoire, c’est
que celui-ci doit être clairement un endroit privilégié qui attire !
En outre, cette directive porte une atteinte préoccupante aux droits de
l’homme. Il est explicitement indiqué que les immigrés illégaux – en
fait la majorité des immigrés qui entrent dans les Etats membres étant
donné la difficulté réelle qu’il existe pour avoir des papiers – seront
placés dans des centres de rétentions, construits à cet effet, pour une
durée maximum de six mois, avec une possibilité de prolonger de douze
mois cette période … Concrètement, c’est donc la criminalisation de
l’immigration qui est acceptée à travers cette directive. Immigrer
devient donc un délit qui en plus d’être puni par un « éloignement »
est couplé à une peine de prison dans un camp de rétention dont on
connaît les conditions de vie déplorables.
Mais tout cela est-ce mieux que rien ? Au plan strictement juridique,
évidemment, difficile de prétendre que ce n’est pas mieux que rien
puisque, aujourd’hui, il existe en effet un cadre européen pour
l’immigration… mais quel cadre ! L’argument juridique qui privilégie
l’aspect technique (« plus d’Europe ») sur l’aspect politique (une
directive conservatrice) est pourtant nul et non avenu au plan
politique puisqu’en fait, cette directive ce n’est pas mieux que rien,
c’est tout simplement rien… Rien pourquoi ? Rien parce que cette
directive ne fait que concrétiser au plan européen les volontés
conservatrices de gouvernements nationaux de droite tels que ceux de la
France ou de l’Italie. Nous n’avons pas avancé, nous n’avons pas fait
plus d’Europe, nous avons tout simplement calqué au plan européen la
politique en matière d’immigration souhaitée par une bonne partie des
Etats membres. Tout cela en somme va permettre aux Etats membres qui
sont gouvernés par la droite d’appliquer une politique d’immigration
des plus conservatrices sans être inquiété ni par l’Ue ni par d’autres
Etats membres.
Après le rejet du Traité établissant une Constitution pour l’Europe par
la France en particulier, nous étions nombreux à nous demander si ce
non était un non de gauche. Les tenants du non gauche revendiquait un
non de gauche populaire, un non du peuple. L’extrême droite, elle
aussi, revendiquait le non du peuple. Difficile de trancher dès lors :
non de gauche malgré tout européen ou non de droite foncièrement
hostile à l’Europe, au progrès et aux idées sociales ? À en croire les
tenants français du non de gauche, les rejets français et hollandais du
TCE, puis le rejet irlandais du Traité de Lisbonne, seraient
l’expression des peuples pour une Europe plus sociale, pour une Europe
débarrassée des politiques de la droite. Ironie du sort, au sujet de la
directive « retour », l’Europe des peuples a parlé aujourd’hui et
finalement nous sommes loin d’avoir assisté à une expression
progressiste de ceux-là. En effet, s’il y a bien une institution
populaire, représentant directement les peuples d’Europe, c’est le
Parlement européen. Or les représentants du peuple, bien loin de
rejeter un texte profondément conservateur, n’ont fait que l’encenser.
Ce n’est clairement pas la faute à l’Europe si une telle directive va
s’appliquer, la responsabilité en incombe directement à la droite
européenne : le PPE au Parlement européen ; les gouvernements de droite
issus du suffrage universels dans les Etats membres.
N’en déplaise donc aux eurosceptiques de gauche, notamment français :
aujourd’hui, quand l’Europe des peuples s’exprime, ce n’est sûrement
pas pour refuser les politiques libérales et conservatrices, mais
hélas, bien au contraire, pour les soutenir.
Diego Melchior