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Sauvons l'Europe - SciencesPo.
21 mars 2006

Bolkestein : les leçons d'un débat européen

stopbolkesteinLe 16 février, le Parlement européen a finalement adopté la directive « services » dans une version largement remaniée. Il y a un an, la campagne contre ce texte avait été l’élément déclencheur d’un vaste mouvement de contestation de la construction européenne elle-même, culminant dans le « non » français du 29 mai 2005. Il apparaît clairement aujourd’hui, contrairement à la thèse du « complot libéral » européen, que les risques du projet sur le plan social pouvaient parfaitement être débattus dans le cadre de la procédure législative normale.

Comme toutes les avancées de la construction européenne, la solution mise au point par Malcom Harbour (PPE, Grande-Bretagne) et Evelyne Gebhardt (PSE, Allemagne) est un compromis entre des préoccupations contradictoires, qui possèdent toutes une part de légitimité. Certains (plutôt au PSE et/ou à l’Ouest) souhaitent le maintien de fortes garanties d’intérêt général face aux risques de la concurrence réglementaire. D’autres (plutôt au PPE et/ou à l’Est) entendent surtout faire tomber les barrières protectionnistes afin de tirer un bénéfice économique maximum du marché unique des services. Mais la grande nouveauté est la mobilisation sans précédent des syndicats européens, qui a largement influé sur le compromis final.

Le résultat n’est pas seulement le fruit de négociations entre parlementaires isolés, mais bien l’aboutissement d’un vrai dialogue avec la société civile. Rarement un texte aura été autant discuté par les citoyens : l’Europe vient peut-être de vivre son premier grand débat législatif. Mais il est loin d’avoir été exemplaire. Les caricatures et contrevérités « nonistes » ont ancré dans les esprits la menace du « plombier polonais » qui ne serait pas tenu de respecter le droit social du pays d’accueil.

Pourtant, il n’en a jamais été question puisque la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs, qui fait prévaloir le droit du travail du pays où s’exerce l’activité, reste applicable. Il est vrai que la copie initiale du commissaire Bolkestein prévoyait d’en attribuer le contrôle au pays d’origine, porte ouverte à tous les contournements.

Le compromis PPE-PSE dissipe toutes les ambiguïtés en supprimant cette disposition. Il précise clairement que ni le droit du travail, ni la sécurité social, ni le droit pénal ne seront affectés. Surtout, il supprime totalement le principe d’application du droit du pays d’origine, pierre angulaire de l’approche prônée par le commissaire Bolkestein. C’est désormais le principe de libre prestation du service qui doit permettre de faire la distinction entre des restrictions discriminatoires (certaines sont explicitement bannies) et d’autres qui peuvent être légitimes. Les Etats Membres disposent d’une clause de sauvegarde leur permettant d’exclure l’application de la directive pour motif impérieux d’intérêt général (ordre public, santé, sécurité, protection des consommateurs, des travailleurs ou de l’environnement).

Cette solution semble certes moins satisfaisante que la proposition initiale d’Evelyne Gebhardt : retenir le principe du pays d’origine pour l’accès au marché, et le principe du pays d’accueil pour l’exécution du service. Dans de nombreux cas, la Cour de Justice devra se prononcer sur le caractère discriminatoire ou non des restrictions maintenues par les Etats Membres. Mais le texte écarte bel et bien le danger de concurrence réglementaire vers le bas qu’aurait pu entraîner une application intégrale du principe du pays d’origine. Il subsiste sans doute des failles : incertitude juridique sur les solutions que retiendra la Cour, insuffisances de la protection du consommateur, non application du principe du pays d’accueil aux indépendants (risque de développement de « faux indépendants » pour contourner le droit social). Pourtant, le compromis répond aux inquiétudes majeures exprimées par la gauche européenne, même s’il laisse subsister des difficultés ponctuelles.

Dans ces conditions, il est difficile de comprendre le « non » d’une partie de la gauche (groupe des Verts, socialistes français) autrement que par une remise en cause de la nécessité même de l’existence d’une telle directive. Dans le débat français en particulier, la directive services a uniquement été considérée sous l’angle de ses dangers potentiels. On a considéré que les bénéfices iraient seulement aux 10 nouveaux Etats Membres. Or, le secteur des services représente 70% du PIB de l’Union et 60% des emplois. La levée des barrières et la création d’un véritable marché unique des services doit donc permettre de dynamiser la croissance et l’emploi dans l’ensemble de l’UE. Certains semblent refuser ce raisonnement. Comment ne pas y voir la continuité avec le « non » de 2005, qui remettait moins en cause les dispositions du Traité constitutionnel que la logique même de la construction du marché unique depuis 1957 ?

Les conditions de l’élaboration du compromis Gebhardt-Harbour lui donnent une légitimité démocratique européenne que le Conseil, porteur des légitimités nationales, serait bien mal inspiré de remettre en cause. Au-delà, les acteurs politiques, sociaux, associatifs européens doivent maintenant se mobiliser sur les deux grands enjeux laissés en suspens par le compromis. Celui des services publics, d’abord : ceux-ci sont largement exclus du champ d’application de la directive, mais par une série de dispositions complexes et parfois peu claires. La nécessité d’une directive-cadre sur les services d’intérêt général s’en fait d’autant plus ressentir. D’autre part, l’harmonisation réglementaire reste d’actualité, et est même relancée par le texte : la Commission doit faire des propositions dans cette direction dans les cinq ans. Au départ, celle-ci avait estimé que la « méthode Delors » de l’harmonisation ne pourrait être appliquée dans le secteur des services, d’où l’idée de recourir au principe du pays d’origine.

Lever les barrières dès maintenant - car l’économie européenne en a besoin - tout en parvenant à terme à une harmonisation des règles et en sécurisant les services publics par un meilleur cadre juridique est sans doute la voie à suivre. Comme l’épisode « Bolkestein » l’a montré, la réussite de ces deux grands chantiers dépendra largement de la mobilisation de la société civile.

Antoine COLOMBANI

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A lire :<br /> <br /> L'explication de vote (contre) d'Harlem Désir (eurodéputé PSE, Fr):<br /> http://www.harlemdesir.com/article/articleview/4147/1/225/<br /> <br /> La critique virulente de ce vote par Gilles Savary (eurodéputé PSE, Fr) :<br /> http://www.gilles-savary.fr/article/articleview/4115/1/1291/<br /> <br /> Les raisons du vote contre du groupe Vert, sur le blog d'Alain Lipietz (eurodéputé Vert, Fr) :<br /> http://www.lipietz.net/blog.php3?id_breve=126
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