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Sauvons l'Europe - SciencesPo.
25 mars 2006

Suez-GDF : une privatisation patriote ?

20051021.obs6196Qu’est-ce exactement que Suez-GDF ? Est-ce une privatisation, celle de GDF ? Est-ce une étatisation, celle de Suez (sur lequel l’Etat pourra peser désormais lourdement) ?

Comme chacun le sait, c’est d’abord la réponse de bric et de broc du gouvernement pour sauver Suez face à la « menace » Enel. Comme si le marché unique ne s’appliquait pas aux grandes entreprises, et quoi qu’il en soit, pas à nous. Mais c’est aussi la formalisation capitalistique d’un système de parrainage politique pré-existant. En matière d’électricité, l’Etat français faisait depuis longtemps la politique d’EDF et de Suez. Plus généralement lorsque la France parle énergie, elle veut dire « EDF/GDF, Areva, Suez, Total. » Maintenant, grâce à Villepin, trois enfants sur quatre vivent autour de la maison Etat. Sauf qu’on se demande quelle est la complémentarité effective, qualitative, de GDF-Suez, autre que simplement conglomérale. En quoi est-ce une meilleure allocation de ressources qu’Enel-Suez, sauf à considérer que français = bien et étranger = mal ?

L’improvisation complète, au moins apparente, de cette opération accentue le malaise que ressentent les (pro)Européens. A l’heure où l’on dit « projet industriel » à MittalSteel, peut-on vraiment rejeter Enel sur le même argument ? Ou plutôt, est-ce approprié de procéder par esprit d’ « annexion » (pour citer la une d’un quotidien belge) : Suez contre Electrabel, Enel contre Suez, puis GDF-Suez contre Enel ? Est-ce juste de ne parler que de « champions nationaux » alors même qu’on essaie comme on peut de « sauver l’Europe » ?

Dominique de Villepin, formé à l’école de l’économie administrée, mû par un mélange éclectique d’ultralibéralisme, de nationalisme, et de dirigisme primaire, a accouché d’une fausse solution.

Oui, il y a un problème à résoudre en Europe, dont nous aurions intérêt à nous emparer. De toute évidence, l’intégration européenne a du mal à prendre corps dans les mentalités. De toute évidence, pour ce qui concerne le big business, nous en sommes encore à Westphalie, pas Rome, pas Maastricht. Beaucoup, Villepin le premier, imaginent leurs entreprises nationales comme on pensait autrefois aux armées, avant, malgré, et après la C.E.D., hors de la coopération européenne.

C’est une double erreur.

D’abord, l’entreprise, l’initiative économique en général appartient à la société civile et non à l’Etat. Même s’il existe nécessairement des exceptions, des complications, et des dérogations (les services publics, par exemple). Il faut évoquer ces cas particuliers ensemble. Quand on estime qu’un secteur est « stratégique », il faut en discuter, et agir de concert, car il est stratégique pour tous les Européens. Quand on estime que le statut et la mission d’une entreprise publique nationale doit évoluer, il faut les faire évoluer avec les salariés et leurs représentants et non contre ceux-ci. Et quand il y aura lieu de conserver ou de construire une implication publique forte dans certains secteurs, il faudra le faire au plan européen, comme c’est déjà le cas de certaines aventures collectives comme Galiléo.

C’est de cette conception qu’une politique, fût-elle industrielle doit partir, à elle qu’on doit revenir en fin de compte. Il n’est généralement pas souhaitable que l’Etat passe son temps à administrer l’économie, plutôt qu’à lutter contre la pauvreté, le chômage, ou la dégradation de l’environnement.

Ensuite, à l’heure de l’Union Européenne, il faut penser l’entreprise « traité de Rome » et non l’entreprise « Westphalie ». Mieux : il faut concevoir l’entreprise à l’image de l’Europe que nous voulons bâtir.

Pour cela, il faut mettre en place les cadres d’administration d’entreprises européennes, permettant aux Européens qui y participent de se sentir tous chez eux, plutôt qu’en terrain vassal ou conquis. Une entreprise à production, à capitaux, à travailleurs européens doit avoir un pilotage qui reflète cette européanité cosmopolite. Des bases légales existent. Il faut les compléter, et surtout aborder les sujets qui fâchent. Par exemple, quelles peuvent être les modalités de partage et de répartition des centres de décision ?

Au-delà de l’édification de ces tours de Babel économiques et entrepreneuriales, à nous d’en faire un pilier du modèle social européen. A nous d’imposer, d’après l’exemple norvégien, que 40% des conseils d’administration soient composés de femmes. A nous d’élaborer des codes européens de non-discrimination et d’incitation à la diversité et d’y engager les moyens financiers indispensables. A nous de prendre la responsabilité sociale et environnementale des entreprises au sérieux et d’en travailler les modalités. Les entreprises énergétiques dont il est question ces jours-ci pourraient participer à des projets européens d’efficacité énergétique, de production renouvelable, de recherche et d’innovation. Comment ?
Pour que ces progrès se concrétisent, il est essentiel de les écrire et de les réaliser avec les acteurs de la société civile, les syndicats, les citoyens autant que les dirigeants d’entreprises, les actionnaires, à l’inverse des diktats socio-économiques, empressés et nationalistes des gouvernements Villepin ou Berlusconi. Attelons-nous à ce travail d’invention européen. Les gauches doivent en être pionnières. Autrement, nous serons condamnés à n’être, pas même des Astérix, mais de bien ridicules Quichotte, courant après nos illusions dans l’économie globalisée.

Frédéric BENHAIM

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Commentaires
F
(Je ne m'impliquerai pas dans les débats internes au PS ;)<br /> <br /> Le défi d'une stratégie industrielle de l'UE est de construire:<br /> <br /> -une vision commune entre les gouvernements<br /> <br /> -une vision commune entre Europe et états membres.<br /> <br /> Or sur ces deux points il y a encore du chemin à faire. <br /> <br /> Constatons en plus que les investissements publics en Europe ne correspondent pas forcément à une stratégie de politique industrielle "horizontale" (de nature à renforcer l'ensemble de l'économie).<br /> <br /> L'argent européen se destine d'abord à l'agriculture et aux fonds structurels, eux-mêmes dépensés en choses pas forcément indispensables dont l'Europe est souvent saturée (comme les autoroutes) plutôt que sur les universités, la recherche, les transports "durables" (publics), le dialogue social, ou encore la diffusion de l'innovation.
A
Il y a un problème très français de refus ou de peur face au marché. <br /> <br /> Mais au-delà, comme le dit Frédéric, Il y a une absence frappante dans la quasi-totalité des gouvernements européens, de réflexion sur une stratégie industrielle européenne, comme c'était le cas il y a seulement quelques années (cf. la création d'EADS). <br /> <br /> De ce point de vue le retour au nationalisme a été brutal et très frappant. Qui aujourd'hui croit que l'Europe a un avenir ? Apparemment ni les citoyens ni les gouvernements.
D
Tu as tout à fait raison, je trouve cet article super. <br /> <br /> "Pour que ces progrès se concrétisent, il est essentiel de les écrire et de les réaliser avec les acteurs de la société civile, les syndicats, les citoyens autant que les dirigeants d’entreprises, les actionnaires, à l’inverse des diktats socio-économiques, empressés et nationalistes des gouvernements Villepin ou Berlusconi. Attelons-nous à ce travail d’invention européen. Les gauches doivent en être pionnières. Autrement, nous serons condamnés à n’être, pas même des Astérix, mais de bien ridicules Quichotte, courant après nos illusions dans l’économie globalisée."<br /> <br /> Mais comment faire alors que même à gauche, le nationalisme en vient jusqu'à pourrir les fondements même du socialisme? Ce n'est pas avec des gens comme Emmanuelli ou Montebourg qu'on pourra construire une Europe dans la globalisation qui réponde aux questions sociales autrement que par le repli national et l'hypertrophisation de la protection étatique.<br /> <br /> Bien que la droite ne soit pas encore sortie d'un nationalisme primaire, je pense que la gauche, du moins en France, a encore bien trop de retard pour admettre que le socialisme ne peut plus se faire, à l'heure actuelle, uniquement dans un seul pays...
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